Jean-Paul Adam & Mark Napier - 10 mars 2022
« Nous sommes tous des gestionnaires d’actifs », écrit M. Partha Dasgupta, dans son étude fondamentale sur l’économie de la biodiversité. « Qu’il s'agisse d’agriculteurs ou de pêcheurs, de forestiers ou de mineurs, de ménages ou d’entreprises, de gouvernements ou de communautés », nous influençons tous la réserve de valeur détenue dans notre bien le plus précieux : Le monde naturel qui nous entoure.
Nous dépendons de la nature pour l’alimentation et l’eau, pour notre santé et aussi pour notre bien-être économique. Chaque entreprise, à un certain niveau, dépend des ressources tirées de la nature, telles que les cultures, le poisson, le bois, les fibres ou les terres rares, ou de la stabilité des écosystèmes.
Souvent, nous ne le voyons que lorsque ces écosystèmes sont bouleversés, par exemple lorsque la sur extraction des sources d’eau naturelles provoque la sécheresse ou que des pratiques agricoles non durables entraînent la dégradation des sols et, en définitive, des pénuries alimentaires.
Et même si, à juste titre, notre attention est focalisée sur le réchauffement de notre planète, nous devons reconnaître que la crise climatique et la perte de la nature sont inextricablement liées. Toutes les voies vers le zéro net nécessitent l’élimination à grande échelle de l’empreinte carbone de l’atmosphère et les seules méthodes abordables et immédiatement disponibles pour y parvenir se trouvent dans la nature.
Nulle part cette interdépendance n’est plus claire qu’en Afrique ; une région qui fait partie des régions du monde les plus vulnérables au changement climatique et les plus dépendantes de la nature. Avec près d’un quart de son PIB dépendant de la nature, toutes les voies de développement du continent reposent sur sa gestion responsable.
Cependant, entre 1970 et 2016, le stock de capital naturel dans les pays africains a chuté en moyenne de 65 %, principalement en raison du changement d’affectation des sols. Près de trois millions d’hectares de forêts tropicales en Afrique sont perdus chaque année, entraînant une dégradation des sols et des conditions météorologiques instables, tandis que la sécheresse et l’érosion des sols ont dégradé 65 % de ses prairies.
La dépendance de l’Afrique à l’égard de la nature est une source de vulnérabilité, mais potentiellement aussi d’avantage concurrentiel.
Considérons par exemple que chaque dollar investi dans les aires marines protégées au Sénégal et en Tanzanie génère plus de 5 000 dollars en valeur économique, la conservation des zones humides en Afrique du Sud rapporte 200 dollars, tandis que la réhabilitation des terres agricoles en Ouganda rapporte 230 dollars.
Ce qui pousse une économie à choisir entre la destruction et la régénération, le risque et l’opportunité, c’est sa capacité et sa volonté à valoriser convenablement la nature. Cela commence par le secteur financier.
D’ici 2030, il y a 10 000 milliards de dollars d’opportunités commerciales à saisir en investissant dans la nature dans le monde entier. Cependant, pour saisir ce potentiel, 2 700 milliards de dollars de financement doivent être redirigés vers des opportunités commerciales positives pour la nature. Cela se révèle être une demande énorme, mais les institutions financières avec 130 000 milliards de dollars d’actifs ont déjà pris des engagements similaires en matière de changement climatique par le biais de l’Alliance financière de Glasgow pour l’élimination de l’empreinte carbone.
Il n’y a tout simplement pas de voie pour protéger et restaurer la nature sans un recours à la mobilisation d’énormes réserves de capitaux privés contrôlées par le secteur financier. Cependant, ces institutions ont besoin de meilleures données quantitatives sur leur exposition aux risques liés à la nature pour prendre des décisions ciblées concernant leurs portefeuilles.
Au niveau mondial, le Groupe de travail pour les Informations financières liées à la nature (TNFD) a récemment été mis en place pour répondre à ce défi et créer un cadre harmonisé d’évaluation et de rapports de ces risques. Cependant, pour que le TNFD fonctionne, il doit éviter les pièges des processus de normalisation du passé, éviter une approche qui ne fonctionne que pour les pays développés et refléter les conditions spécifiques d’exploitation dans des régions comme l’Afrique.
Au milieu des efforts mondiaux visant à réorganiser la finance en faveur de la nature, les nations africaines ont une occasion unique non seulement de contribuer, mais d’agir en chef de file. La CoP27, plus tard cette année, est celle de l’Afrique où ce lien inextricable entre la prospérité et la nature sera au cœur du renforcement de la résilience au changement climatique et de la création de moyens de subsistance durables.
Mais, tout d’abord, nous avons besoin d’une coordination entre les institutions financières pour obtenir les bonnes données afin de débloquer les investissements. C’est pourquoi la Commission économique pour l’Afrique (CEA) et l’Agence de développement du secteur financier (FSD Africa) se sont associées pour lancer l’Alliance africaine du capital naturel (ANCA).
Dirigé par certaines des principales institutions financières africaines et en partenariat avec le TNFD, l’ANCA aidera les institutions financières, les ministères des finances et les régulateurs à gérer les risques et à saisir les opportunités liées au capital naturel de l’Afrique.
Au cours des prochains mois, l’Alliance œuvrera avec des institutions financières opérant sur tout le continent pour les aider à mieux appréhender les risques et les opportunités liés à la nature auxquels ils font face. Cela comprend le test du projet de cadre de TNFD parmi un groupe de membres pionniers. Ces institutions financières africaines partageront les données et les enseignements de leurs projets pilotes, et contribueront ainsi à façonner cette norme cruciale.
L’histoire du capital naturel en Afrique ne doit pas être uniquement celle du risque et de la vulnérabilité. Si ce capital est protégé et exploité intelligemment, le patrimoine naturel de l’Afrique peut générer des centaines de milliers de nouveaux emplois et contribuer à remodeler le système économique en fonction des richesses naturelles du continent. Il est plus clair que jamais que l’Afrique saisisse son moment pour être le chef de file au niveau mondial.
Adam, Directeur, Division de la technologie, du changement climatique et de la gestion des ressources naturelles, CEA
Mark Napier, PDG, FSD Africa