Jamais auparavant, au cours du dernier demi-siècle, le paysage des soins de santé en Afrique n’a connu autant de changements et suscité autant d’intérêt. En fait, le secteur des soins de santé en Afrique représenterait une valeur estimée à 259 milliards de dollars américains d’ici 2030. Bien que ces tendances présentent une opportunité lucrative pour le secteur privé, si le secteur des soins de santé n’est pas bien réglementé, le système de soins de santé en Afrique pourrait voir davantage de populations africaines vivre sous le seuil de pauvreté. Ainsi, les pays africains ont la possibilité de s’appuyer sur le succès du financement de la santé de 2021 pour renforcer la résilience de ce secteur et des populations africaines.
Les dépenses de santé directes (OOP) en Afrique restent excessivement élevées par rapport à d’autres continents - ce n’est qu’une des faiblesses des systèmes de santé africains que la pandémie de COVID-19 a révélées. En effet, malgré les ravages que le virus a causés, il a également fourni au continent des opportunités de remodeler ses infrastructures de santé ainsi que ses systèmes d’approvisionnement, l’exhortant à passer des produits de donateurs et fabriqués à l’extérieur aux systèmes de production continentaux tirant ainsi parti des opportunités créées par la Zone de libre-échange continentale africaine.
La COVID-19 a créé non seulement une crise sanitaire, mais une contraction économique jamais connue auparavant avec une telle rapidité. En outre, l’augmentation du chômage induite par la COVID entraîne une diminution des dépenses de santé du secteur privé, tandis que la COVID augmente le coût des soins de santé - dans une région où les dépenses de santé privées dépassent déjà 50 % des dépenses totales de santé dans plus de 15 pays (Figure 2.6 ci-dessous). Le défi immédiat pour de nombreux gouvernements est de savoir comment fournir des soins de santé abordables et fiables dans un environnement de contraintes budgétaires.
Avant la pandémie de COVID, un certain nombre de suggestions pour accroître le soutien public au secteur de la santé avait été proposé, principalement par la mobilisation des ressources nationales. Cependant, face à la contraction économique, il n’est plus possible d’augmenter les recettes publiques à court terme.
L’objectif immédiat des institutions financières internationales a donc été d’aider les économies africaines à mobiliser des ressources concessionnelles supplémentaires. Au cours de la crise, le G-20 a proposé des options en trois phases pour obtenir des liquidités supplémentaires : la suspension du service de la dette, l’émission de droits de tirage spéciaux et une approche de financement innovante pour l’acquisition de vaccins. Les institutions financières multilatérales ont également augmenté le décaissement de nouveaux crédits aux pays pour soutenir les dépenses de santé supplémentaires.
Le G-20 – s’appuyant sur une proposition des ministres des finances africains et de la Commission économique pour l’Afrique (CEA) – a adopté la proposition africaine d’une Initiative de suspension du service de la dette (DSSI) comme première injection de liquidités pour les pays à faible revenu. La DSSI a permis aux pays de suspendre les obligations de paiement de la dette envers les créanciers en 2020 et 2021 afin que les gouvernements puissent utiliser les ressources financières pour répondre à la crise sanitaire mondiale. Ces ressources nouvellement disponibles ont été utilisées pour acheter des Équipements de protection individuelle (PPE) et également pour soutenir la production locale de PPE, ce qui a aidé à redresser une partie de l’économie.
Au début de l’année 2021, le G-20 a en outre approuvé l’émission de Droits de tirage spéciaux (DTS) - qui avaient été réclamés par les ministres des finances africains au début de la pandémie – d’un montant de 650 milliards de dollars, dont 5 % environ (d’une valeur environ 33,6 milliards de dollars) avait été alloués à l’Afrique. Ces ressources supplémentaires ont augmenté la liquidité des pays pour répondre à la fois à la crise sanitaire et à la crise économique.
S’appuyer sur les institutions africaines pour financer et combattre la pandémie a bien servi l’Afrique tout au long de la crise. Ainsi, l’Afrique a mis en place un certain nombre de nouvelles institutions et d’approches de financement innovantes pour financer l’acquisition de vaccins.
La première de ces institutions est la Plate-forme africaine de fournitures médicales (AMSP), dont la force réside dans sa capacité à regrouper la demande de fournitures médicales de manière transparente, entraînant ainsi des prix de marché plus bas. Une autre innovation importante a été la création du Fonds africain d’acquisition des vaccins (AVAT) dont l’objectif est de mettre en commun les DTS de pays comme l’Égypte, le Nigéria et le Zimbabwe. Il a fourni les premières ressources à la Banque africaine d’import-export (Afreximbank) pour mettre en place un mécanisme d’achat de vaccins. Sous la direction de l’Envoyé spécial de l’Union africaine, Strive Masiwiya, et en collaboration avec le CDC Afrique dirigé par le Dr John Nkengasong et la CEA, AVAT a pu répondre à plus de 40 pourcents des besoins en vacins contre la COVID de l’Afrique (y compris un achat de 70 millions de vaccins Moderna auprès des États-Unis). Avec le soutien d’un don de 500 millions de dollars de la Fondation Mastercard, les coûts des vaccins dans le cadre du mécanisme AVAT sont comparables à ceux achetés via COVAX. En effet, pour 2022, l’un des principaux objectifs des dirigeants consiste à administrer les vaccins achetés : en fin 2021, moins de 10 % de l’Afrique était entièrement vaccinée. (Pour en savoir plus sur l’équité vaccinale, referrez-vous à (l’analyse de Michel Sidibé).
Afreximbank a également développé le Programme d’indemnisation sans faute d’AVAT pour les États membres participants. Ce programme, le premier du genre sur le continent, offre une indemnisation forfaitaire sans faute en règlement complet et définitif de toute réclamation aux personnes qui ont subi un « évènement indésirable grave » entraînant une déficience permanente ou un décès associé à l’achat ou la distribution d’un vaccin contre la COVID-19 dans le cadre de l’AVAT dans l’un des États membres participants.
Le développement de ces mécanismes innovants indique que l’Afrique peut désormais se tourner vers le marché pour se procurer ses propres produits de santé, lui permettant ainsi de passer de l’importation de plus de 90 % de ses besoins en matière de santé à la production d’équipements et de produits pharmaceutiques sur le continent. Cette dynamique a déjà commencé avec des pays comme l’Afrique du Sud, le Sénégal et l’Algérie augmentant leurs capacités et le Rwanda, le Kenya, le Nigéria et le Maroc mettant en place de nouvelles capacités de fabrication de produits de santé.
Avec la pandémie de COVID-19, la nécessité de collaborer de façon plus étroite entre les ministres de la santé et les ministres des finances s’est fait davantage ressentir. En effet, un financement des soins de santé inclusif, efficient et efficace nécessite que les deux travaillent ensemble. Il s’agit maintenant de créer un Conseil mondial de la santé et des finances pour résoudre les problèmes fondamentaux de la gouvernance mondiale de la santé, dont certains ont été si clairement exposés par la (mauvaise) gestion de la pandémie.
L’Afrique est en avance sur cet effort : Sous la direction des chefs d’État de l’Union africaine, du CDC Afrique et de la CEA, les ministres concernés ont tenu des réunions de coordination bimensuelles pour aligner les ressources et l’exécution. Ce nouveau mécanisme pourrait également être utilisé après la pandémie pour construire et structurer le financement de soins de santé plus abordables et améliorés sur le continent. La Banque mondiale, la Fondation Mastercard, l’UNICEF, GAVI et d’autres travaillent déjà à travers ce mécanisme pour aider à relever le plus grand défi sanitaire pour l’Afrique en 2022 : la vaccination.